Mobilité : nouveau cadre conceptuel ? (Nicolas D.)

Dans le monde scientifique aussi bien que dans la pratique de l’urbanisme, les transports urbains font l’expérience de profonds bouleversements. La prise de conscience d’une augmentation aussi bien quantitative que qualitative des déplacements dans la ville oblige à repenser la façon dont on les analyse et dont on les gère.L’évolution des espaces métropolitains à travers le monde se traduit par une transformation des modes de vie et des pratiques de mobilité : on se déplace de plus en plus, pour des motifs de plus en plus diversifiés et en utilisant des modes de transport plus nombreux. Pour rendre compte à la fois de la complexité des pratiques de mobilité et du lien très fort entre les transformations urbaines et les déplacements, les scientifiques et les techniciens utilisent un nouveau terme : la mobilité urbaine.

 

1. Identifier les tendances de la mobilité dans les métropoles modernes
La réflexion sur les déplacements ainsi que les modalités de leur gestion reposent sur la prise en compte de la complexité des pratiques de la mobilité en ville.
– La mobilité s’effectue dans des espaces urbains plus complexes. La ville évolue très rapidement laissant les spécialistes souvent plus perplexes : avec la métropolisation, les caractéristiques de la ville changent assez rapidement. Les villes contemporaines n’ont plus grand chose à voir avec l’idée courante d’une ville bien distincte de la campagne, identifiée par un chiffre de population seuil ou encore caractérisée par un nombre limité de fonctions. Les villes contemporaines sont des espaces de plus en plus difficiles à appréhender aussi bien en termes de formes que de fonctions. La périurbanisation – qui repousse sans cesse les limites de l’espace urbanisé ainsi que la spécialisation des espaces – qui tend à individualiser des quartiers selon une fonction spécifique, sont à la fois la cause et la conséquence d’une multiplication des déplacements. Un fonctionnement plus complexe des espaces urbains est ainsi associé à des pratiques de mobilité de plus en plus complexes ; l’offre traditionnelle en transport en est forcément modifiée.
– La mobilité possède une double référence au territoire et au réseau. La métrique de la ville est de moins en moins topographique et de plus en plus réticulaire ; en d’autres termes, ce qui compte pour qualifier la distance entre les lieux, c’est moins la distance kilométrique que le temps pour parvenir d’un lieu à un autre. La logique du réseau s’associe aujourd’hui à la logique topographique pour encadrer le développement des déplacements en ville : la proximité physique n’est plus la seule condition nécessaire à l’interaction à l’interaction sociale, c’est l’espace/temps. La métropole moderne est ainsi à géographie variable ou, en dit autrement, à plusieurs vitesses. Les évolutions technologiques et techniques ont poussé à repenser la valeur du déplacement parce qu’elles ont modifié le rapport à la distance en cherchant à adapter les pratiques de mobilité aux nouvelles échelles de la métropole. Pour les citadins, la double référence au territoire et au réseau implique la possibilité de gérer leur mobilité en fonction de leurs pratiques spatiales ; pour les gestionnaires, elle demande à revoir l’organisation du cadre institutionnel.
– La mobilité dépend de plus en plus de la variable vitesse. On s’aperçoit que si les citadins se déplacent de plus en plus aujourd’hui, ils ne passent pas plus de temps dans les transports, c’est à dire environ une heure : c’est la conjoncture de Zahavi. Cela s’explique par l’accès à des modes de transports rapides qui permettent d’aller plus loin en moins de temps. Avec l’avènement de la métropole, on passe ainsi de la ville du piéton à la ville de l’automobile : c’est la transition urbaine. La grande majorité des déplacements sont assurés aujourd’hui par l’automobile. Ce mode de transport se généralise car il fonctionne comme un véritable adaptateur territorial : il permet un accès quasi-universel aux différents lieux de la métropole. Il est également en phase avec l’individuation des modes de vie : plus d’autonomie et d’indépendance dans les pratiques de mobilité.
– La mobilité est modelée par des modes de vie et des pratiques spatiales plus diversifiées L’évolution des métropoles modernes montre une complexité toujours plus grande des formes de la mobilité. La désynchronisation des rythmes urbains rompt avec la logique binaire des déplacements domicile-travail : aujourd’hui, on note un étalement dans
le temps des heures de pointe. Les gens se déplacements pour des motifs de plus en plus diversifiés ; ils ne travaillent plus uniquement aux mêmes heures. La nuit n’est plus un temps mort dans la ville ; elle devient un temps utile de l’activité urbaine. Si les temps de la ville ne sont plus utilisés de façon uniforme, c’est essentiellement parce que les citadins n’ont pas les mêmes attentes, les mêmes besoins et les mêmes demandes. En d’autres mots, la mobilité tend à refléter de plus en plus cette diversité.
2. Appréhender la dimension urbaine de la mobilité
L’identification des tendances de la mobilité sont à effectuer en relation avec les tendances du développement de la ville contemporaine, comme on peut le constater : pour comprendre la mobilité, il faut aussi comprendre la ville. Nous verrons dans cette partie que la nécessaire mise en relation de la mobilité avec le contexte urbain résulte d’une évolution épistémologique dans le domaine de l’urbanisme.
– prendre en compte le contexte de la mobilité. Pendant longtemps, la mobilité a été réduite au transport : c’est à dire à sa dimension technique. La discipline transport était du ressort des sciences de l’ingénieur. L’une des premières étapes de l’enrichissement de la discipline s’est opérée à travers la socio-économie des transports qui s’intéresse depuis fort longtemps au calcul de l’optimisation des localisations des activités pour minimiser les coûts de transports, à l’évaluation des coûts externes des infrastructures de transports, etc. Petit à petit, on a assisté à un élargissement des compétences scientifiques dans le domaine du transport pour conduire des réflexions plus poussées sur l’environnement du transport, puis sur le contexte de la mobilité. Cette évolution s’est produite grâce à des recherches menées par des sociologues, des psychosociologues, voire des philosophes. Le résultat de cette évolution épistémologique est aujourd’hui une prise en compte du contexte de la mobilité, en particulier sa dimension sociale.
– appréhender la dimension sociale de la mobilité : L’apport des sciences sociales aux sciences de l’ingénieur dans l’analyse des transports a permis de révéler la dimension sociale de la mobilité. Les chercheurs en sciences sociales cherchent à comprendre les conditions sociales et psychologiques du déplacement aussi bien que sa valeur culturelle. Plusieurs questions leur sont posées : que révèle la mobilité sur les pratiques sociales de citadins ? quelle valeur la société accorde à la mobilité ? comment la mobilité permet de repenser l’intégration des individus à la ville ? etc. Aujourd’hui le concept de mobilité urbaine rend compte de l’approche transversale des questions de transports et de développement urbain. Pour analyser les déplacements dans la ville de façon globale, il faut considérer de façon systématique au moins cinq dimensions de la mobilité : les conditions techniques du déplacement (les transports urbains), l’organisation des activités dans la ville (la structure urbaine), les pratiques sociales dans la ville (la société urbaine), la qualité des espaces (le paysage urbain) ainsi que les mesures prises par les politiques pour organiser le développement urbain (les politiques urbaines).
– intégrer le transport dans le champs des études urbaines : Le concept de mobilité urbaine pose la dimension urbaine du transport : puisque la ville est complexe, la mobilité dans la ville l’est aussi, puisque la ville est transversale, la mobilité l’est aussi. La réflexion sur la mobilité doit être ainsi intimement liée à la réflexion sur la ville. Il faut reconnaître que les transports font la ville aussi bien spatialement que socialement, que les transports occupent un temps important de l’activité des individus et que les transports influencent l’environnement urbain. En termes de méthode, cela suppose que les experts spécialistes de la mobilité soient formés aux problématiques urbaines : ils doivent être de bons spécialistes de la ville. Dans de nombreux pays, on assiste à une évolution de la formation aux métiers du transport et aux métiers de la ville en particulier sur la base d’un cursus pluridisciplinaire qui apprend les avantages d’une approche transversale et intégrer des enjeux.
 – Deux exigences fortes : l’accessibilité urbaine et la mobilité durable : L’approche transversale des enjeux de la mobilité permet aux spécialistes de la ville et des transports de faciliter la mobilité selon une double approche : spatiale,en favorisant l’accessibilité urbaine, et temporelle, en recherchant une mobilité durable. Cette double approche fonde deux exigences fortes en matière de réflexion et d’action sur la ville. D’une part, l’accessibilité permet d’assurer une forme d’équilibre entre les territoires de la ville : tous les territoires doivent être accessibles, c’est à dire qu’ils doivent être reliés d’une façon ou d’une autre aux autres territoires de la ville et qu’on puisse s’y rendre et en sortir facilement. Aujourd’hui, un territoire qui n’est pas accessible, c’est un territoire qui souffre d’exclusion, avec des impacts forts en termes économiques et sociaux importants. En favorisant l’accessibilité urbaine, on assure la diffusion spatiale de la mobilité. D’autre part, la mobilité durable permet de soutenir des formes de mobilité qui soit le moins nuisibles possibles pour l’environnement et profitable pour un développement harmonieux de la ville. Penser le caractère durable de la mobilité, c’est penser aux générations futures et à la ville de demain. En favorisant une mobilité durable, on assure le maintien dans le temps de la mobilité.

 

3. Trois pistes principales d’investigation
Le nouveau cadre conceptuel que propose les recherches sur la mobilité urbaine permet de définir des pistes intéressantes de travail pour l’avenir. Les travaux en cours permettent d’identifier trois pistes principales d’investigation qui méritent d’être creusées.
– faciliter la multimodalité et construire l’intermodalité : la multiplication des modes de transports utilisés par les citadins doit être considérée comme un phénomène positif à intégrer à une stratégie renouvelée des transports. L’objectif doit être de faciliter la mobilité et d’améliorer les conditions de sa réalisation en associant plusieurs modes de transports. Ainsi, les stratégies de développement des transports doivent être non seulement multimodales – qui favorisent l’usage de plusieurs modes de transports dans la ville – mais également intermodales – qui facilitent le passage d’un mode à un autre lors d’un même déplacement.Les expériences de nombreuses métropoles du monde montrent qu’une stratégie de transport qui repose sur un seul mode de transport – bien souvent l’automobile – et qui ne prenne pas en compte la pluralité des demandes des citadins est vouée à l’échec. Si l’on veut bien penser la mobilité dans son ensemble, il est préférable de définir une stratégie de transport fondée sur la complémentarité des modes de transport en fonction de l’efficacité de chacun des modes pour tel ou tel type de déplacement, pour tel ou tel type d’espace ou encore pour tel ou tel moment de la journée. Aujourd’hui, les transports dans la ville s’organisent autour de lieux d’échanges où se joue l’intermodalité : ce sont les pôles d’échanges. Ces lieux sont des lieux par excellence de la mobilité en ce sens où ils doivent tout aussi bien donner les conditions techniques du passage d’un mode à un autre que l’environnement nécessaire à une bonne signalétique pour les usagers. L’enjeu du pôle d’échange est qu’il est tout à la fois un défi technique, un défi institutionnel et un défi architectural. Les pôles d’échange – ces lieux de la mobilité – sont également des lieux de la ville.
– qualifier les espaces de la mobilité : pendant longtemps, on a considéré que les seuls espaces de la mobilité était les principaux axes de transport, qu’il s’agisse de la route ou de la voie ferrée. Ces axes étaient considérés comme de simples support de flux sans lien avec l’environnement urbain à travers lequel ils passent. Il y avait alors déconnexion entre l’espace de la mobilité et l’espace de la ville. Aujourd’hui, on se rend compte qu’une telle vision, trop technicienne, est réductrice et nuit à un urbanisme soucieux de la qualité de la vie en ville. En effet, on s’est aperçu que les routes ou les voies de chemins de fer, même lorsque leur efficacité technique est avérée, constitue une coupure dans l’espace et détériore le paysage urbain. Les autoroutes urbaines ne peuvent pas être facilement traversées par les piétons ou les cyclistes car elles sont dangereuses ; elles séparent des quartiers qui parfois pourraient bénéficier d’une plus grande proximité ; elles traversent des espaces urbains sans s’occuper de l’équilibre avec les bâtiments ou les espaces verts existants. Des efforts sont à entreprendre pour qualifier les espaces de la mobilité : il s’agit de les transformer en véritables espaces de l’urbain et non pas en simples espaces du technique de façon à ce que les espaces du transport ne soient pas en opposition avec les espaces de la ville. Des exemples pris dans plusieurs grandes métropoles montrent qu’il est possible de requalifier des autoroutes urbaines de façon à les intégrer à la ville ; voire de les supprimer pour considérer d’autres espaces viaires mieux adaptés à la ville. Cependant, de plus en plus, on en vient à entreprendre des études préalables à tout d’aménagement d’infrastructure de transport qui intègrent la dimension paysagère. Il s’agit d’une évolution importante dans les études de la planification des transports et des villes : penser la ville en harmonie avec les transports afin d’éviter de revenir sur des erreurs dont le coût de réparation est souvent supérieur à un projet intégré.
– assurer une mobilité pour tous : pour les individus, l’usage de modes de transports rapides et souples permet de faciliter l’accès aux services nécessaires au quotidien, qu’il s’agisse d’aller au travail ou de revenir chez soi, d’aller faire les courses, d’aller rendre visite à des amis, de sortir pour s’amuser,etc. En d’autres termes, pouvoir se déplacer facilement, c’est se donner la possibilité de profiter pleinement de la vie en ville. Or, certains groupes sociaux, pour des raisons divers, ne maîtrisent pas totalement leur mobilité et, de ce fait, rencontrent des difficultés pour assurer la qualité de leur vie en ville. Ces individus peuvent souffrir d’handicaps physiques plus ou moins graves rendant leur mobilité difficile voire impossible – il s’agit des personnes à mobilité réduite : les malvoyants et les handicapés – ou bien ressentir une certaine vulnérabilité qui leur demande une grande prudence dans leurs déplacements – il s’agit en particulier des personnes âgés ou des jeunes enfants. Les besoins de ces individus demandent à être pris en compte de façon spécifique ; cela peut passer par des aménagements physiques (rampes d’accès pour les fauteuils roulants, plancher bas dans les bus, équipements de sécurité dans les rues, etc.) ou des systèmes d’accompagnement. Par ailleurs, d’autres groupes sociaux sont concernés par les difficultés à se déplacer : il s’agit des individus qui sont en situation d’exclusion bien souvent pour des raisons économiques. Leur exclusion résulte essentiellement de leur incapacité à accéder à des transports appropriés chaque fois que nécessaire. En particulier, il s’agit des personnes qui habitent dans des quartiers de la périphérie des villes mal desservis par les transports en commun et qui ne possèdent pas de mode de transport individuel, comme la voiture – ou parce que l’usage de ce mode leur coûte trop cher. Ainsi, exclusion sociale et exclusion spatiale sont souvent associées. Pour répondre aux besoins de ces groupes sociaux, l’offre en transport doit être repensée et adaptée : il s’agit de proposer des systèmes de transport afin d’assurer une accessibilité maximale – aucun quartier de la ville ne doit être mal desservis par les transports. Bien souvent, les réponses passent par une meilleure offre en transport en commun – aussi bien quantitative que qualitative – ou bien encore par des systèmes de transports à la demande plus souples que les transports en commun classiques et mieux adaptés à certains espaces urbains moins denses

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