Développement urbain de la ville d’Oran en Algérie. Etude des outils de planification et des enjeux fonciers (Tewfik Tabouche)

L’agglomération d’Oran est la seconde plus grande agglomération du pays après Alger. Située au nord est de l’Algérie, elle a connu depuis l’Indépendance en 1962 un développement urbain et démographique considérable pour atteindre aujourd’hui plus d’un million d’habitants et 8.050 ha urbanisés.

A travers cet article, nous tenterons de comprendre les origines du développement urbain accéléré sur les emprises foncières libres autour du centre colonial, et plus particulièrement sur les terres agricoles et les espaces naturels. L’article fera un état des lieux de l’agglomération oranaise post-Indépendance ; il traitera des outils de planification comme moyen de maîtriser l’urbanisation et le foncier, ainsi que du rôle des acteurs : l’Etat, l’administration locale, les entrepreneurs locaux et les professionnels.

Etat des lieux :

La croissance urbaine de la ville d’Oran et son étalement a entraîné une grande consommation de réserve foncière et de terres agricoles. Ce phénomène de développement est directement lié à une importante croissance démographique de l’agglomération oranaise (Oran, Bir el-Djir, Es-Sénia et Sidi Chami) due à l’exode rural qu’a connu le pays durant les années 1960, au lendemain du lancement des grandes politiques d’industrialisation, et durant la décennie noire de 1990 à 1999. Pour mémoire, Oran ainsi que certaines grandes agglomérations algériennes ont moins subi les vagues de violences et attentats qui ont secoué le pays durant ces années.

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Graphique 1 : Sources : ONS, 2008 ; URBOR, 2015. Réalisation : Kadri Y., Madani M.

La croissance démographique de l’agglomération connaît une évolution constante dés 1966 pour atteindre une population estimée à 1.064.400 habitants en 2015. Le graphique n°1 illustre cette croissance et indique une décroissance démographique de la commune d’Oran en 2008 avec un report sur les autres communes de l’agglomération, confirmée aussi par les statistiques de 2015[1]. Désormais, la périphérie est le nouveau territoire d’attraction, en particulier la banlieue est avec Bir el-Djir (Oran est), contrairement à la commune d’Es-Sénia (Oran ouest) qui recule après avoir été la seconde plus importante commune après Oran à cause de la saturation du tissu urbain, l’augmentation du prix du foncier.

Le parc immobilier de la ville d’Oran au lendemain de l’Indépendance est très important : elle est longtemps considérée comme une ville sans crise de logements. La vacance des immeubles ralentira l’extension urbaine de la ville d’Oran jusqu’en 1975. Quant aux terres agricoles, dès 1962, elles deviennent des biens vacants et majoritairement propriétés de l’Etat ; elles sont attribuées aux Fellahs (agriculteurs) sous contrat de bail. Leur statut ressemble fortement à celui des salariés dans une entreprise classique. Autrement dit, l ‘Etat demeurera le seul propriétaire des terres et les agriculteurs en seront de simples exploitants sans aucun regard sur la gestion, marquant un détachement des exploitants vis-à-vis de leur terre[2].

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Source : ONS, 2008. Réalisation : Kadri Y., Madani M.

L’Algérie a hérité, de ses années de colonisation, d’un modèle de planification urbaine français. Au lendemain de son indépendance en 1962, l’administration algérienne reconduit toutes les lois élaborées par le gouvernement français, dont le PUD (Plan d’urbanisme directeur). Il faudra attendre l’année 1990 pour voir naître des outils tels que les PDAU (Plans directeurs d’aménagement et d’urbanisme), équivalent du SCOT en France, et le POS (Plan d’occupation du sol) inspiré de son équivalent français.

Durant la période française, l’extension urbaine se faisait sous une logique capitaliste de rente foncière. Les propriétaires fonciers aux alentours d’Oran vendaient leurs terrains aux plus offrants, ou s’improvisaient eux-mêmes promoteurs immobiliers en montant des opérations de construction de logements. A l’Indépendance, la réforme agraire de 1963 nationalise toutes les terres agricoles[3] et met l’Etat au centre du processus d’aménagement urbain.

Les périodes d’expansion :

En 1977, en pleine expansion démographique, la ville d’Oran est enfin dotée d’un PUD et des Zones d’Habitat Urbain Nouvelles (ZHUN) voient le jour dans sa périphérie. Le but de ces grands ensembles de logements est principalement de répondre à la demande et de limiter la prolifération d’habitat précaire ou informel. Ainsi les ZHUN vont devenir les principaux moteurs de la fabrication urbaine dans les années qui suivent, en marquant naturellement les zones à urbaniser. En parallèle de ces ZHUN, Oran se dote d’un pôle universitaire à rayonnement national, toujours situé en périphérie de la ville et qui impulse également une urbanisation (quartier USTO – Université des sciences et de la technologie d’Oran).

Durant plusieurs décennies, l’agglomération oranaise aura une logique de rattrapage de retard et fera face aux deux vagues de déplacements majeurs de populations (développement de la politique industrielle post-Indépendance et instabilité politique des années 90) en réalisant dans la hâte des opérations de logements qui seront entérinées par le PUD après coup. Ainsi le PUD ne remplira jamais sa fonction de plan de cohérence et de coordination des opérations.

Quant aux espaces naturels, ils sont moins protégés et sont le terrain d’une extension urbaine aussi importante que celle affectant les terres agricoles. L’absence de législation en faveur de la protection de ces espaces dans les années 90 a favorisé l’étalement urbain.

En 1998, l’agglomération oranaise se dote d’un PDAU dans lequel elle met en place des zones (urbanisées, à urbaniser, à urbanisation future ou non urbanisables). Le discours sur les enjeux environnementaux se fait de plus en plus entendre en Algérie et plus particulièrement dans les pratiques de l’aménagement urbain[4]. Ainsi Le PDAU donne une priorité au développement de la ville coté est, là où les réserves foncières sont les plus importantes mais également dans le but de sauvegarder les terre agricoles plus fertiles à l’ouest. Cependant, face aux urgences de construction d’équipements publics et de logements, il est totalement oublié quand il s’agit de passer à l’acte.

En même temps, une série de Plan d’Occupation des Sols (POS) est mis en place pour chaque zone du PDAU ce qui mène à un morcèlement de la ville en plusieurs POS. Ils sont critiqués par les professionnels pour leur faiblesse, mais également pour le manque de cohérence due à l’absence de coordination des bureaux d’études en charge de leur élaboration et le retard cumulé par l’administration locale pour les voter en assemblée. Aujourd’hui la ville d’Oran continue son urbanisation aveuglément, sans documents administratifs votés et fiables.

Source : Kadri Y., Madani M.

Le jeu d’acteurs, intérêts et conflits :

Une fois de plus, le développement anarchique de la ville prend le dessus sur les outils censés réguler l’urbanisation. Comme le signale le représentant d’un bureau d’études étatique en charge de l’étude du PDAU en 1998, « l’urbanisation planifiée est contredite par une utilisation hâtive et excessive de l’espace urbain. Il n’y a qu’à voir l’urbanisation de la périphérie Est !». Ajouté à cela, le prix du baril de pétrole de plus en plus élevé et une réserve de change au plus haut, l’Algérie des années 2000 était dans les conditions des plus favorables pour construire et se développer, aggravant ainsi l’étalement urbain.

Dans leur article, M. Abdellah Messahel et M. Tarik Ghodbani[5], les auteurs, distinguent six principaux acteurs dans le développement urbain de la ville d’Oran dont les stratégies et les intérêts divergent. L’Etat dans un souci de gestion et de préservation des terres agricoles : il en devient propriétaire et refuse de délivrer des actes authentiques aux exploitants agricoles. Mais cette position de pouvoir est souvent appliquée de manière incohérente et abusive. En face, les Elus locaux sous pression de l’électorat et gangrénés par la corruption ont la stratégie d’intégrer un maximum de terrains dans les secteurs à urbaniser.

Les agriculteurs, quant à eux, sont pour la plupart des exploitants sous baux, sans titre de propriété. Ils tentent de tisser des liens avec les réseaux politiques influents (la mafia du foncier) pour faire entendre leur voix. Le développement depuis une vingtaine d’années, des promoteurs privés devenant les acteurs majeurs de l’immobilier. Ils appliquent une politique libérale et cherchent les meilleurs terrains pour leurs opérations. Ils influent sur l’administration pour faire fléchir les POS et négocient en amont avec les Fellahs pour réduire toute résistance.

De l’autre côté, les bénéficiaires sont quant à eux face à une offre de logements et de lotissement médiocre ou inabordable, selon qu’ils sont dans des sites naturels à risque ou dans des emprises foncières proches du centre. Enfin les bureaux d’études[6], souvent en fin de circuit, sont instrumentalisés et intègrent les projets d’aménagement dictés par les promoteurs.

Conclusion :

Plus d’un quart de siècle après leur adoption, les instruments de planification urbaine font l’objet de multiples critiques. Dans un contexte d’urbanisation accélérée, les outils paraissent inefficients. Il est constaté que les instruments viennent souvent trop tard rattraper les coups tirés sans disposer de réels leviers de pression. Ils reviendraient à faire le projet urbain dans le sens inverse.

Les pressions de l’Etat central et des habitants envers les décideurs locaux accentuent l’urgence et mènent à prendre des décisions contradictoires à celles prises auparavant. Selon le président du bureau d’étude étatique l’URBOR (centre d’étude et de réalisation en urbanisme d’Oran) qui a participé à la mise au point du PDAU : « Notre effort se dilue dans le caractère de l’urgence dans lequel s’est installé le mode d’urbanisation de la ville… On cherche alors à rattraper l’urbanisation et la dynamique en cours et non pas la contenir ».

Dans un contexte de libre échange et d’économie de marché, le gouvernement gagnerait à développer une politique agricole forte en périphérie des villes et permettre aux exploitants d’avoir un acte authentique de propriété qui les rattacherait à leur terre et minimiserait dans une certaine mesure l’extension urbaine sur les terres agricoles. Aussi les outils de planification urbaine doivent-ils intégrer dans leurs textes davantage de directives et contraintes favorisant un urbanisme durable.

Aujourd’hui, le climat politico-économique de l’Algérie est très peu favorable et instable. Le développement urbain effréné va être ralenti après l’effondrement du prix du pétrole et l’assèchement des réserves de l’Etat[7]. Le pays se prépare avec le projet de loi des finances de 2017 à rentrer dans une période de récession alors qu’un grand nombre de projets sont en cours actuellement ou en chantier.

 

Photo de couverture : Hamid Mohamed Khadraoui

[1] Youcef Kadri et Mohamed Madani, « L’agglomération oranaise (Algérie) entre instruments d’urbanisme et processus d’urbanisation », EchoGéo [En ligne], 34 | 2015, mis en ligne le 15 décembre 2015, consulté le 30 septembre 2016. URL : http://echogeo.revues.org/14386

[2] Cahiers thématiques n° 11, Agriculture métropolitaine / Métropole agricole, Édité par Jennifer Buyck, Xavier Dousson, Philippe Louguet. Oran les terres agricoles et les espaces naturels face à la ville : le cas d’Oran.

[3] Cahiers thématiques n° 11, Agriculture métropolitaine / Métropole agricole, Édité par Jennifer Buyck, Xavier Dousson, Philippe Louguet. Oran les terres agricoles et les espaces naturels face à la ville : le cas d’Oran.

[4] Kacemi Malika, « Protection du littoral en Algérie entre gestion et législation.  Le cas du pôle industriel d’Arzew (Oran, Algérie)», Droit et société 3/2009 (n° 73) , p. 687-701 URL : www.cairn.info/revue-droit-et-societe-2009-3-page-687.htm.

[5] Cahiers thématiques n° 11, Agriculture métropolitaine / Métropole agricole, Édité par Jennifer Buyck, Xavier Dousson, Philippe Louguet. Oran les terres agricoles et les espaces naturels face à la ville : le cas d’Oran.

[6] Dénomination pour les agences architecture et d’urbanisme privées ou étatiques

[7] http://abonnes.lemonde.fr/economie/article/2016/11/12/etranglee-par-la-chute-de-ses-revenus-l-algerie-se-prepare-a-l-austerite-et-s-endette_5030023_3234.html

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