La ville mobile et ses travers – Alix Boyer

  • Qu’est-ce que la ville mobile ?

La grande ville est devenue une métropole dynamique traversée par toutes sortes de flux. La métropole est hyper connectée à la fois en interne et au reste du monde[1]. Son territoire est maillé par des réseaux de transports et de communication multiples. Leur entrecroisement forme des nœuds de communication qui sont désormais au cœur de la réorganisation des logiques urbaines. Ces nœuds de transports et de communications définissent les nouveaux centres des métropoles.

Les métropoles récemment apparues ne se définissent pas exclusivement par leur hyper-connectivité. Elles se caractérisent également par leur grande taille et par le mouvement continu de leur expansion territoriale. L’immensité des métropoles et parfois les caractéristiques particulières de leur conception spatiale induisent une plus grande mobilité de leurs habitants.

Cette explosion de la mobilité urbaine rendue nécessaire par l’agrandissement des distances au sein des villes n’a été possible que grâce à l’amélioration exponentielle des réseaux de transports publics et privés. Mais ces réseaux de transports de plus en plus nombreux et performants sont-ils la cause ou la conséquence de la mobilité urbaine ?

Répondent-ils à un besoin ou l’ont-ils créé ?

Il est intéressant de se demander si l’expansion des villes a rendu nécessaire l’apparition de tels réseaux de transports ou si c’est au contraire l’apparition de ces réseaux de transport qui a rendu possible l’expansion illimitée de la ville. Dans le cas des villes américaines, l’arrivée de la voiture et des routes a complètement conditionné l’agencement de l’espace urbain en rendant possible la séparation distincte entre lieu de vie (périphérie) et lieu de travail (centre-ville). En ce qui concerne les villes européennes dans lesquelles les centres-villes sont à la fois lieu de travail, d’activités, de vie la question est différente.

Que ce soit en Amérique ou en Europe, les habitants des métropoles sont hyper-mobiles car d’un côté les distances sont immenses et de l’autre les réseaux de transport maillent le territoire et offrent à chacun l’opportunité de se déplacer quand il le veut. L’hyper-mobilité qui caractérise la vie dans les grandes métropoles ne relève pas uniquement de facteurs spatiaux et matériels. Elle témoigne également de l’émergence d’un nouveau mode de vie au sein des métropoles. Celui-ci se définit par l’abolition des frontières du quartier comme unique repère identitaire et spatial des habitants. Ils se pensent et se situent désormais au sein de l’espace bien plus grand qu’est la métropole unifiée. Malgré son étendue la métropole réussit à former un tout grâce au maillage de son territoire par les réseaux de transports et de communication.

 

  • L’envers du décor de la ville mobile : le temps de transport

 

L’un des paradoxes de la ville mobile tient dans le rapport entre performance des réseaux de transports et temps passé dans les transports. Alors que les moyens de transports ne cessent de s’améliorer, il est prouvé que les habitants des grandes villes n’ont jamais passé autant de temps dans les transports[2] qu’aujourd’hui. Certes les distances parcourues sont de plus en plus importantes mais le résultat en termes de satisfaction et de bonheur individuel est largement contestable.

En fait l’amélioration et la multiplication des réseaux de transport a rendu possible la dissociation spatiale entre lieux de vie et lieux de travail. Ce qui n’était pas le cas avant lorsque le travail devait se trouver à une distance possible à parcourir à pied ou en vélo. René Lenoir dénonce cette dissociation qui augmente toujours le temps passé dans les transports et l’accuse de provoquer angoisses et tensions. Il explique également que l’accroissement du temps gâché dans les transports réduit le temps passé en famille et affaiblit les relations familiales.

En fait l’amélioration des réseaux de transport permet une augmentation des distances parcourues (notamment entre lieux de vie et de travail) et conduit paradoxalement à l’augmentation constante du temps de transport. Mais quel est l’intérêt de construire des réseaux de transport toujours plus performants si les distances ne cessent d’augmenter ? D’autant plus que l’on sait par exemple qu’en Ile-de-France les distances parcourues augmentent beaucoup plus vite que la performance des réseaux de transport ce qui accentue encore le temps passé dans les transports. Il s’agirait peut-être de réfléchir à de nouvelles organisation spatiales au lieu de vouloir toujours augmenter les distances entre les différentes fonctions urbaines.

 

  • L’envers du décor de la ville mobile : l’exclusion des moins mobiles

 

L’avantage d’une ville mobile c’est qu’elle permet d’agrandir les distances parcourues pour aller d’un point à un autre. Les habitants peuvent donc se rendre plus facilement n’importe où car la métropole est ainsi pensée et organisée.

Le problème d’une ville mobile, c’est qu’elle permet d’agrandir les distances parcourues pour aller d’un point à un autre. Les habitants n’ayant pas accès aux réseaux de transport ne peuvent donc pas se déplacer car la marche ou le vélo ne permettent plus de parcourir des distances suffisantes.

En fait la ville mobile exclut tous ceux qui ne sont pas assez mobiles ou tout ceux à qui l’on ne permet pas d’être mobiles en refusant de les brancher sur les nœuds de circulation. Prenons l’exemple des banlieues parisiennes qui sont souvent très mal reliées à Paris et entre elles. Le manque de réseaux de transport empêche à leurs habitants de se déplacer et les confine dans un entre-soi involontaire. Les habitants des espaces péri-urbains sont également concernés par les travers de la ville mobile. Trop éloignés des réseaux de transport publics ils sont complètement dépendants de leur voiture et sacrifient plusieurs heures de transports par jour pour aller travailler[3]. Quand une ville est construite sur le modèle de l’hyper-mobilité, les moins mobiles en sont exclus.

En fait la dynamique métropolitaine ne bénéficie pas de la même façon à tous en grande partie à cause de l’inégal accès à la mobilité[4]. Les métropoles sont capables d’offrir plus de ressources qu’une petite ville mais celles-ci sont plus ou moins accessibles selon les classes sociales.

Selon Daniel Behar ou Stéphanie Morel l’inégalité se traduit aujourd’hui dans les villes en termes d’accès aux ressources métropolitaines conditionné par la mobilité des habitants et leur facilité d’accès à ces ressources. L’aire métropolitaine de Lille aurait connu ces dernières années une profonde recomposition sociale qui dessine une nouvelle carte de la précarité selon les capacités des individus à se déplacer pour accéder aux ressources métropolitaines[5]. Non seulement les précaires ont plus de difficultés pour se déplacer mais en plus ils sont relégués dans des territoires plus éloignés, ce qui accentue encore leur précarité.

En fait les ressources métropolitaines ne profitent réellement qu’aux personnes mobiles et bien placées, c’est-à-dire les classes sociales moyennes et élevées ayant les moyens de vivre dans les centres-villes. Directement branchés sur les réseaux de transports publics ils ont à portée de main toutes les ressources qu’une grande ville peut leur offrir (emploi, loisirs, cultures, commerces, etc…). L’agrandissement des distances profitent surtout aux habitants des centres-villes métropolitains.

 

Des modèles alternatifs d’organisation des métropoles ont été pensés pour transformer la contrainte issue de l’expansion des distances et des réseaux de transports en une force. On peut citer le modèle de la ville polycentrique pensée comme un vaste territoire sur lequel des petits centres pourraient s’organiser autour du centre-ville. Ces plus petits centres regrouperaient diverses fonctions urbaines, évitant ainsi aux individus de traverser tout le territoire pour profiter d’un service. La multiplication des centres pourrait peut-être conduire à une réduction des distances et enrailler le mouvement d’allongement continu des temps de transports qui pénalise principalement les habitants des banlieues et zones péri-urbaines. Lorsque la distance et le temps de transport deviennent une contrainte économique et sociale, une réflexion s’impose pour égaliser les situations en termes de mobilité.

 

 

 

 

 

 

 

[1] Olivier Mongin, La ville des flux, Fayard, 2013, 696.

[2] René Lenoir, Les exclus – Un français sur dix, Seuil, 1975, p181.

[3] Lacques Donzelot, La ville à 3 vitesses : relégation, périurbanisation, gentrification, Revue Esprit, mars-avril 2004.

[4] Stéphanie Morel, « Équité territoriale et pouvoir d’agir dans l’espace métropolisé : vers un nouveau régime de politiques publiques », Informations sociales, février 2014, n°182, p.80-88.

[5] Ibid.

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