Espace public : définitions? (L.Brossy)

Le concept d’intervenir sur la ville n’est pas nouveau, et c’est toujours la volonté de faire bouger, évoluer les villes par des projets spécifiques, qui a permis de conduire à des changements. Le terme de projet urbain a été employé pour la première fois dans les années soixante-dix dans un contexte de planification urbaine en évolution. Actuellement on peut cependant constater que les projets qui constituent les changements urbains sont de plus en plus complexes et tendent a répondre à des critères spécifiques, comme le respect de l’environnement, la conservation du patrimoine historique, l’intégration au tissu urbain présent. Le terme de « projet urbain » est un concept largement étudié, ici nous nous évoquerons le point de vue de David Mangin qui le définit par «  À l’échelle urbaine c’est moins la forme des bâtiments, ou leur style qui compte mais leur capacité à créer des tissus urbains compatibles avec les dispositions courantes des villes et ce que nous savons des pratiques qui s’y rattachent. Créer des tissus urbains aujourd’hui, c’est-à-dire susceptible d’accueillir les formes architecturales héritées du mouvement moderne et de ses développements récents aussi bien que celles qui n’entrent pas dans ce que nous considérons généralement comme la culture architecturale. ». C’est dans cette perspective que le procédé de réhabilitation, qui concerne ce projet de recherche, n’est pas un nouveau processus et que l’on peut parler d’intervention au niveau de l’espace public : composant majeur du projet urbain.

L’espace public peut être définit de plusieurs manières, selon des approches et des domaines d’études très différents. Pour Hannah Arendt, l’espace public est défini comme le lieu possible de l’agir pour le bien commun. Dans cet espace, les hommes doivent se reconnaitre comme égaux en même temps qu’ils y expriment leurs différences sur des questions ayant trait à l’organisation du social. C’est dans le cadre de cet espace que peuvent se produire les propositions, les débats et les votes engageant l’ensemble des citoyens dans un projet politique commun.

Apres l’approche d’Hannah Arendt, on peut présenter l’approche du philosophe allemand Habermas. Il aborde le concept d’espace public en 1950, après avoir fait  l’opposition avec le terme « sphère publique » qui désigne, l’espace matériel et immatériel des relations dialogiques entre les individus et les groupes au sein d’une société. Le terme de « sphère publique » n’est pas à l’origine de celui d’espace public, et pas seulement d’un point de vue chronologique. Selon cette conception, tous ceux qui sont en mesure d’exprimer un point de vue rationnel et qui ont une certaine capacité à exercer la parole dans le cadre de relations sociales peuvent faire partie de la sphère publique. L’espace public selon Habermas reste dans les faits, inaccessible à tous ceux qui n’ont ni les capacités, ni l’éducation nécessaires pour délibérer et participer à un débat public. Au-delà de l’absence de prise en compte de l’organisation spatiale de la société, qui n’était pas un des objectifs d’analyse d’Habermas, sa conception de l’espace public s’inscrit dans une vision moderniste qui tient pour acquis non seulement la façon dont cet espace est produit, mais aussi la valeur positive et vertueuse qui lui est attachée.

Outre l’approche philosophique, on peut penser à une définiton de l’espace public qui intègre largement la question de l’appropriation de l’espace par les gens, on peut donc voir une évolution de cette définition au cours du temps et des domaines d’études.

Depuis plus d’une quinzaine d’années, plusieurs contributions – d’orientation post-moderne – ont insisté sur la crise de l’espace public qui caractériserait les sociétés post-industrielles du nouveau capitalisme. Un des auteurs qui incarne le mieux ce courant de pensée est Richard Sennet. Selon Sennet, avec la venue du capitalisme industriel, la sphère privée l’a emporté sur la sphère publique. La marchandisation des espaces publics, leur surveillance, leur militarisation croissantes fait que cet espace perd la diversité, le désordre et la conflictualité qui lui sont propres.

Cette conception post-moderne de l’espace public a été remise en cause par les recherches en géographie radicale qui ont commencé par nier les théorèmes de base des théories post-modernes, selon lesquelles l’espace public moderne est l’espace de tous, ouvert à tous, un espace stable et défini. Au contraire, selon les théories radicales, la proximité, la diversité et l’accessibilité qui ont caractérisé l’expérience moderne des espaces publics correspondent plus à un idéal qu’à une réalité. Or, les exemples récents d’usage et de réappropriation des espaces publics, montrent que l’interaction sociale caractérisant tout espace public.

Cette notion est donc sujette à de nombreuses approches, anthropologique, philosophique, sociologique, urbanistique, … Cependant le point de vue urbain sera le domaine d’étude principal pour cette notion d’espace public. L’espace public a donc fait l’objet de nombreuses investigations théoriques sur ses formes, ses pratiques, sa production, et il en résulte une complexité de significations et de fabrications.

On peut donc dire que les qualités qui définissent l’espace public sont nombreuses. Il est porteur d’identité pour les individus le pratiquant, il est structurant de l’espace urbain tout en intégrant le réseau viaire de la ville. Il est un outil de composition urbaine, architecturale et paysagère et participe à des stratégies urbaines d’aménagement de la ville. Le travail sur l’espace public a comme volonté de concevoir des espaces aux qualités d’usages rassemblant la population.

Les nouveaux protagonistes qui pensent et conçoivent la ville ont une forte volonté de préservation du patrimoine de la ville, tout en accordant une attention particulière à la nature. Les espaces naturels sont désormais intégrés dans les nouvelles représentations de l’agglomération en tant qu’appartenance à la collectivité, représentation identitaire de la population, lien entre le patrimoine culturel de la ville et son patrimoine naturel. La présence d’un fleuve, élément essentiel du sujet de ce mémoire, devient une composante indissociable de la perception de la ville contemporaine et de son usage. Les espaces publics sont donc intégrés dans la démarche et le processus de création du projet urbain, et doivent se caractériser par un espace d’une forte identité, ou plus simplement un espace de cohérence fonctionnelle qui accompagne des opérations urbaines adjacentes.

Le concept d’espace public a de multiple définitions, il serait trop laborieux de prétendre de présenter toutes ses significations. En ce sens, on peut se concentrer sur la mise en application de ce concept sur quelques lieux particuliers, qui tendent a enrichir ce projet de recherche.

La production de l’espace public se révèle être un lieu d’observation de la fabrication des villes, malgré les conflits que l’on peut retrouver entre les différents corps de métiers et de professions. On peut donc dire que le choix de certaines disciplines plutôt que d’autres est révélateur des intentions et de l’identité de l’espace public voulu. L’espace public peut, peut être,  finalement se définir comme le décrit André Rossinot «  l’espace public, ou plus largement, les « vides » entre les bâtiments, redeviennent le lieu magique d’expression artistique, le liant des opérations, le lieu de mixité sociale, et de la reconquête d’une qualité environnementale disparue au milieu du XX ème siècle dans la « planification » et l’hyperfonctionnalisme d’une société grisée par la croissance. »

 

Hannah Arendt (1983), Condition de l’homme moderne, Paris, Calmann-Lévy, 2e édition

Jürgen Habermas, L’espace public, Coll. Critique de la politique, Ed. Payot, 1978

Thierry Paquot, L’Espace public, Paris, La Découverte, coll. Repères, 2009, 125 p.

Préface de André Rossinot, Vocabulaire français de l’Art urbain, Certu,

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